THE FRENCH DOOR |
HISTOIRE DES CAROLINGIENS
CHAPITRE III.PEPIN LE BREF.1.AVENEMENT DE LA DYNASTIE CAROLINGIENNE.La révolution qui donna au
royaume des Francs une nouvelle dynastie eut cet effet mémorable, que la
Belgique fut pendant longtemps le centre de la plus vaste des monarchies
européennes. On a diversement apprécié les actes à l’aide desquels les Carolingiens
parvinrent à se substituer aux Mérovingiens. Cet événement d’un si haut intérêt
a besoin d’être étudié sans prévention. Nous allons examiner d’abord les
circonstances qui amenèrent cotte révolution et celles dont elle fut accompagnée;nous rechercherons ensuite les causes de la
chute des Mérovingiens et de la translation de leur couronne dans la famille
Carolingienne.
Ce qu’on trouve concernant
l’élévation de Pépin le Bref à la royauté dans les principales sources historiques
peut se résumer en peu de mots.
Suivant les annales de
Lorsch, Burchard, évêque de Wurzbourg,
et Fulrad, chapelain (sans doute de Pépin), furent
envoyés au pape Zacharie, pour le consulter au sujet des princes qui, en
France (in Francia), portaient le nom de rois, sans jouir en rien de
l’autorité royale. Le pape était prié de décider lequel devait légitimement
être et se nommer roi, de celui qui demeurait sans inquiétude et sans péril en
son palais, ou de celui qui supportait le soin de tout le royaume et les soucis
de toutes choses. Zacharie les chargea de répondre à Pépin qu’il valait mieux
donner le titre de roi à celui qui exerçait réellement la puissance souveraine;
et pour que l’ordre ne fût point troublé, il ordonna (jussit),
en vertu de son autorité apostolique, que Pépin fût élevé à la royauté.
Le continuateur de la
chronique de Frédegaire, qui écrivait par ordre de
Hildebrand, frère de Charles Martel, rapporte qu’en 752, de l’avis et avec le
consentement de tous les Francs, et en conformité du message reçu de
l’autorité apostolique, l’illustre Pépin, par l’élection de toute la France,
la consécration des évêques et la soumission des grands, fut placé sur le trône
avec la reine Bertrade, selon l’ancienne coutume des Francs.
D’après les annales de
Lorsch, déjà citées, et les annales d’Eginhard, cet acte solennel eut lieu à
Boissons, et l’onction fut faite par saint Boniface. Quant à Childeric, qui
portait un vain titre de roi, on lui rasa la tête et on le relégua dans un
monastère. Eginhard répète, dans sa Vie de Charlemagne, que le pouvoir royal
fut conféré à Pépin par l’autorité du pape.
Le document principal
concernant ce fait historique commence par constater que Pépin reçut l’onction
des évêques assemblés avec le peuple à Soissons, sous l’autorité du pape
Zacharie. Et puis il ajoute que, deux ans plus tard, une nouvelle onction, administrée
au nom de Jésus-Christ par le pape Etienne II qui se trouvait alors à la cour
de Pépin, s’étendit aux deux fils de ce prince, Charles et Carloman, et à la
reine Bertrade. Le pape confirma fonction précédente, et menaça les Francs
d’excommunication, si jamais il leur arrivait de choisir un roi d’une autre
race.
Ces récits des chroniqueurs
nous semblent prouver que Pépin, avant de s’emparer de la couronne, crut
indispensable de faire légitimer l’usurpation que sans doute il méditait depuis
longtemps. L’autorité du pape lui parut seule propre à sanctionner cet acte
exorbitant, et il jugea son intervention nécessaire pour empêcher que l’ordre
ne fût troublé. Telle n’aurait pas été sa pensée, s’il n’avait été convaincu de
la solidité de la foi chrétienne chez les Francs et de leur respect pour le
chef de l’Église; s’il n’avait su que la parole sacrée du souverain pontife
était pour eux une loi à laquelle ils croyaient devoir obéir. C’est pourquoi
les annalistes ont pu dire que Pépin avait été élevé
à la royauté par ordre du siège apostolique. Dans leur manière de voir, la
nation l’ayant proclamé roi après y avoir été autorisée par le pape, il n’y
avait plus à contester: la révolution qui condamnait Childeric au couvent était
un acte parfaitement légal. Cependant il est peu probable que le pape Zacharie
ait exprimé en forme d’ordre son opinion sur la question que les députés de
Pépin lui avaient posée. La puissance papale n’était pas encore assez
solidement établie à cette époque pour que le saint-père eût osé ordonner la
déposition d’un roi légitime. Il pouvait déclarer que celui-là seul qui
exerçait la puissance souveraine devait être appelé roi: cette déclaration,
qui suffisait pour légitimer les projets de Pépin, n’était qu’une sorte de
conseil donné aux Francs; mais les récits inexacts d’écrivains postérieurs ont
servi de base à une théorie qui plus tard fut mise en pratique. On s’est fondé
sur la réponse de Zacharie, comme sur un premier fait, un précédent
péremptoire, pour soutenir que les papes pouvaient déposer les rois et en faire
nommer d’autres à leur place.
Au reste, la décision de
Zacharie était rationnelle. Le gouvernement des Francs avait pris une direction
qui devait nécessairement amener la chute des Mérovingiens. Depuis la bataille
de Testri, la royauté n'était plus qu’un pouvoir fictif;
la constitution du royaume (s’il est permis d’appeler ainsi l’ordre de choses
existant alors) était tout à fait artificielle. Nous voyons qu’on disait dans
les chroniques et dans d’autres actes publiés depuis: «Le roi règne et le
maire du palais gouverne, régnante rege, gubernante N. N. majore domus.»
Ainsi la doctrine si prônée dans ces derniers temps, et défendue par
d’illustres écrivains, tels que M. Guizot, était en vigueur dans le royaume des
Francs. Le principe que le roi règne et le ministère gouverne est encore
aujourd’hui celui de certains gouvernements constitutionnels. Il est vrai qu’à
l’époque dont nous nous occupons, le ministère se composait du maire du
palais seul; mais ce personnage était essentiellement populaire, en ce sens
que, depuis Pépin d’Herstal, c’étaient les grands de la nation qui le
choisissaient et l’imposaient au roi. Ce système était parvenu à sa dernière
limite de développement sous Charles Martel, puisque les rois n’avaient pour
ainsi dire plus d’existence politique; ils étaient réellement devenus ce que le
célèbre philosophe Hegel exige de la royauté constitutionnelle, le point sur la
lettre i. Un pareil ordre de choses est possible jusqu’à certain point
dans les pays où le gouvernement n'est pas exercé par une seule personne, mais
par un ministère composé de plusieurs hommes d’État s’appuyant sur la majorité
parlementaire. Il est sans danger pour la royauté, pourvu que celle-ci n’oublie
pas que c’est à elle de donner la direction suprême aux affaires. Mais sous les
Mérovingiens le ministère se trouvant dans les mains d’un seul homme, d’un
homme puissant et avide de pouvoir, celui-ci devait se considérer bientôt
comme le vrai chef de l’État; il devait finir par se débarrasser d’un supérieur
qui, selon les circonstances, pouvait devenir gênant. C’est là en effet ce que
fit Pépin, lorsque le moment fut venu d’opérer cette révolution.
La question concernant les
causes de la chute des Mérovingiens est donc bien simple. Cette catastrophe
devait nécessairement arriver; on peut même se demander pourquoi elle n’arriva
pas plus tôt. Charles Martel n’aurait-il pas déjà pu faire ce qui fut exécuté
par son fils en 762? Cependant, quand on se rappelle qu’une entreprise
semblable, tentée par Grimoald, fils de Pépin de Landen, avait eu de si fatales
conséquences; quand on considère, d’autre part, que la royauté mérovingienne
n’avait été ni pour Pépin d’Herstal, ni pour Charles Martel un obstacle à
l’exercice du pouvoir souverain, on conçoit qu’ils n’aient pas éprouvé le
besoin d’abolir cette royauté qui servait à donner un caractère légal à leurs
actes et qui les couvrait, pour ainsi dire, de sa responsabilité. Toutefois
Charles Martel, en gouvernant quelque temps le royaume sans roi, avait montré à
ses successeurs le chemin qu’ils pourraient prendre et que Pépin suivit
effectivement. Quoiqu’on en ait dit, ce 11e fut point pour donner plus de force
à sa puissance et afin d’assurer la soumission des ducs de Bavière, d’Aquitaine,
etc., que Pépin consomma la révolution de 762; ce fut, au contraire, parce que
ces princes étaient alors tout à fait soumis et hors d’état de s’opposer à ses
desseins. Il est certain néanmoins qu’il eut, après l’événement, plus que
jamais le droit de s’opposer à leur émancipation et de les dompter en cas de
révolte.
Nous croyons fort inutile de
rechercher d’autres causes pour expliquer la révolution de 752. Cette
révolution fut une conséquence toute naturelle et nécessaire de la marche de
l’état social dans le royaume des Francs, depuis que la puissance des maires du
palais avait commencé à s’élever. Cependant notre tâche n’est pas remplie à
l’égard des événements de 752 et 754; il nous reste à examiner la part qu’y
prirent les papes, notamment Étienne II. Ce sujet exige quelques
éclaircissements préalables sur l’état du pouvoir pontifical à cette époque,
sur son origine et son développement.
2.
INTERVENTION DE LA PAPAUTÉ.
La papauté, considérée comme
institution politique, est un sujet des plus intéressants et qui a été traité
maintes fois On s’en est occupé de nouveau depuis les événements d’Italie de
1859; mais les écrits les plus récents sont entachés de partialité et sans
portée scientifique. Les bases du pouvoir temporel du pontife de Rome ont été
jetées par les empereurs chrétiens, qui donnèrent aux évêques, avec la
juridiction arbitrale dite de episcopali audientia, une influence assez large sur
l’administration des cités. Justinien leur conféra la haute surveillance sur
tous les magistrats municipaux et provinciaux dans leurs diocèses. Ils étaient,
conjointement avec les notables, chargés de l’élection de ces magistrats et de
celle de tous les autres fonctionnaires civils. Un commandant appelé dux exerçait l’autorité militaire. Cet ordre de
choses fut introduit en Italie par Justinien après la reprise de ce pays sur
les Ostrogoths. L’empereur y publia une espèce de loi fondamentale connue sous
le titre de Sanctio pragmatica,
pro petitione Vigilii antiquioris Romae episcopi. C’est dans cette constitution qu’il faut
chercher l’origine du pouvoir temporel des papes.
L’évêque de Rome était
investi des mêmes pouvoirs que tous ses collègues; mais comme il était le premier
évêque de la chrétienté, le chef d’une église épiscopale qui possédait des
domaines et des rentes dans toute l’Italie, l’administration de ces biens
jointe à ses attributions politiques lui donnait déjà une autorité temporelle
très-étendue. On pouvait prévoir dès lors que, si un homme de talents
supérieurs et de vues élevées venait à s’asseoir sur le trône pontifical, il
saurait rendre cette autorité aussi indépendante que l’ordre général des
choses le comportait. C’est ce qui arriva sous le pontificat du célèbre
Grégoire Ier ou le Grand (590-604), lequel donna à la papauté la
base morale et politique qui lui est restée. Nous allons voir d’ailleurs que
les événements concoururent à l’envi à consolider et étendre le pouvoir
temporel des papes.
L’empereur de Constantinople
était représenté en Italie par un haut fonctionnaire décoré du titre de patricius. Dans le principe cette dignité ne donnait
qu’un rang honorifique, le plus élevé après celui de l’empereur; mais elle se
transforma plus tard en pouvoir politique. Le premier patricius fut le général Narsès, qui avait achevé la conquête de l’Italie. Il résidait à
Rome et avait sous lui un dux, commandant de
la force armée. Narsès occupa cette position jusqu’en 568. Son successeur
établit sa résidence à Ravenne et prit le titre d’Exarque. Cette translation du
siège du gouvernement donna plus de liberté au pape, qui devint le chef de la
cité romaine, car son autorité était supérieure à celle du dux.
On sait qu’à partir de cette époque, c’est-à-dire de l’an 568, les Langobards, peuple semi-païen, semi-arien, envahirent l’Italie,
et que bientôt ils en conquirent la partie septentrionale. Ils étaient décidés
à se rendre maîtres de toute la contrée soumise aux empereurs de Constantinople,
par conséquent aussi de la ville de Rome, de son territoire et de l’Exarchat ou
de la Pentapole. Mais ils se contentèrent pendant longtemps de ce qu’ils avaient
conquis d’abord, ainsi que des duchés de Bénévent et de Spolète au midi. Enfin,
par suite des efforts de leur reine Théodelinde,
princesse bavaroise, ils finirent par embrasser la religion catholique.
Ce ne fut qu’en 728 que le
roi Liutprand, qui régnait depuis 712, rentra dans la carrière des conquêtes,
encouragé par les perturbations qu’avaient fait naître en Italie les édits de
Léon l’Isaurien contre le culte des saintes images. Il s’empara de l’exarchat
et s’avança vers Rome. L’empereur de Constantinople n’était plus en position
de pouvoir protéger cette partie de ses États; force fut donc aux papes, qui
craignaient au plus haut point la domination des Lombards, d’aviser eux-mêmes
aux moyens de défendre la ville éternelle. Ils avaient non-seulement à
repousser ces dangereux voisins, mais encore à se rendre indépendants du
gouvernement iconoclaste de Constantinople. Tel fut le double but poursuivi par
Grégoire III entre les années 731 et 741: s’il parvenait à l’atteindre,
l’indépendance du saint-siège était assurée; mais il
avait besoin pour cela d’un auxiliaire puissant et qui ne fut pas dangereux à
sa propre liberté. Cet auxiliaire, il le chercha dans le royaume des Francs en
s’adressant à Charles Martel. Il lui envoya successivement deux ambassades
avec des lettres qui nous ont été conservées. Charles se borna à recommander la
cause du pape au roi Liutprand qui ménageait son alliance. Les lettres de
Grégoire III étaient arrivées trop tard, déjà le héros avait déposé ses armes;
il touchait à la fin de sa carrière.
Cependant le danger parut
s’éloigner. Liutprand se réconcilia avec le pape Zacharie, successeur de Grégoire.
Mais après Liutprand, sous le roi Aistolphe, la
situation devint plus critique que jamais. Celui-ci, s’étant rendu maître de
l’exarchat d’Italie, en 752, par la prise de Ravenne et de toute la pentapole,
porta ses vues sur le duché de Rome. C’est alors qu’une alliance fut conclue
entre le pape, d’une part, et le roi des Francs de l’autre. Elle eut pour
résultat de conférer au trône des Carolingiens la sanction religieuse, et de
transformer le pouvoir des papes en souveraineté territoriale. Le pape Étienne
II s’était d’abord adressé à Constantinople; mais, au lieu de troupes,
l’empereur lui avait envoyé des ambassadeurs chargés de traiter avec Aisotphe. Étienne se rendit avec eux au camp du roi
lombard... Cette tentative de conciliation n’eut aucun succès. Le pape eut
alors recours à Pépin, qui, étant devenu roi par la coopération du saint-siège, lui devait de la reconnaissance. Il partit
donc pour le royaume des Francs, passa les Alpes et se rendit à la villa royale
de Ponthion. Pépin, qui s’y trouvait, le reçut avec de telles démonstrations de
respect qu’il ne douta point qu’il eût trouvé un sauveur. Il se jeta aux genoux
du roi, et le supplia de le délivrer des Lombards, le peuple le plus barbare,
disait-il, et le plus cruel. Pépin accueillit en effet sa demande, et, au champ
de mars tenu à Braine en 754, il annonça aux Francs son dessein de faire une
expédition contre les Lombards. De son côté le pape, avant de s’en retourner en
Italie, renouvela, le 28 juillet 754, Fonction du roi Pépin, et le décora de la
dignité de patricius, ce qui lui imposait la charge
de défendre Rome et ses dépendances.
La campagne d’Italie fut de
courte durée. Il paraît que les principaux d’entre les Francs désiraient rentrer
dans leurs foyers. Cependant cette guerre eut des résultats assez importants: Aistolphe, vaincu, céda à Pépin tout ce qu’il avait pris
dans l’exarchat, et ce prince, au lieu de le restituer à l’empereur de Constantinople,
en fit donation au pape. C’est ainsi qu’il le constitua maître et seigneur d’un
territoire assez étendu contenant un grand nombre de villes. Après le départ
des Francs, Aistolphe recommença la guerre. Pépin,
vivement sollicité par Étienne, retourna en Italie en 755; il reprit les pays
contestés et en fit dresser un nouvel acte de donation en faveur du pape. Ni
cet acte, ni le premier, celui de 754, en supposant qu’il ait existé, ne sont
parvenus jusqu’à nous L Ils semblent du reste n’avoir été que le prix du traité
d’union et d’assistance mutuelle qui avait été conclu entre le pape et le roi
des Francs pendant le séjour d’Étienne à la cour de Pépin. Ce pacte fut la base
du système politique suivi depuis lors par Pépin et Charlemagne, ainsi que par
les pontifes de Rome, système qui devait nécessairement conduire à la restauration
de l’empire d’Occident.
La conduite politique
d’Étienne a été diversement appréciée. Les adversaires du pouvoir temporel du
pape l’ont flétrie des noms d’usurpation et de trahison: les pays conquis par
les Francs, disent-ils, appartenaient aux empereurs de Constantinople; les
papes, étant leurs sujets, n’avaient pas le droit d’en accepter la
souveraineté. Les amis de Rome pensent, au contraire, que le pape était en
droit de prendre ce que les Francs avaient conquis et ce dont ils pouvaient
disposer à leur gré. Au fond nous ne voyons pas trop comment le pape aurait pu
refuser la donation du roi des Francs, laquelle était faite non à la personne
d’Étienne II, mais à saint Pierre, c’est-à-dire à l’Église romaine. Le droit
qui en résultait n’avait pas d’ailleurs le caractère de la souveraineté ; son
caractère était celui de la propriété seigneuriale, du franc alleu avec
l’immunité germanique et par conséquent la juridiction. Il n’y avait, à la
vérité, qu’un pas de ce droit à sa transformation en pouvoir souverain; mais ce
pas ne fut point franchi immédiatement.
On a fait aussi un reproche
au pape Étienne d’avoir investi Pépin de la dignité de patricius de Rome : les empereurs de Constantinople avaient seul le droit de conférer
cette dignité qui donnait rang dans l’empire. Ce reproche paraît fondé; mais il
est à remarquer qu’en 784 le titre de patricius n’avait plus la même signification que dans l’origine : il équivalait à celui de
protecteur, defensor, et imposait à celui qui
en était décoré la charge qu’avaient dans le royaume des Francs les avoués des églises épiscopales et des abbayes. Le pape institua donc Pépin et ses
fils avoués, advocati, de l’église de saint
Pierre. Nous voyons, dans les documents du temps de Charlemagne, que celui-ci
se considérait réellement comme avoué et mainbourg de Rome. La notion que Pépin, de son côté, aurait nommé le pape patricius des pays par lui donnés au Saint-Siège, semble
provenir de l’interprétation inexacte de la lettre 83 du Codex Carolinus. M. Luden, qui en
général traite l’histoire de la papauté sous Zacharie et Etienne II dans un
sens favorable, a émis l’opinion qu’Etienne avait conféré à Pépin la dignité de patricius au nom de l’empereur de Constantinople.
Cette hypothèse ne paraît pas admissible, puisque la charge dont il s’agit
imposait à celui qui en était revêtu l’obligation de défendre la liberté de
l’Église de Rome, même contre les empereurs, dont la domination était aussi peu
agréable aux papes que celle des Lombards.
On a représenté la conduite
d’Étienne II comme peu honorable, par cela même qu’il voulut être indépendant
et possesseur d’un vaste territoire. On y a vu la preuve d’un égoïsme des plus
avides, d’une ambition des plus effrénées. Cependant, si l’on admet que lui et
ses successeurs ne visèrent à l’indépendance que dans l’intérêt de l’Église et
afin qu’elle pût accomplir sa haute mission de charité, celle de civiliser les
peuples et de répandre la religion chrétienne, ce but les justifie de
l’accusation d’égoïsme et d’avidité du pouvoir. Ils obéissaient à une idée dont
ils croyaient devoir poursuivre la réalisation. Leur tendance essentiellement
idéale était approuvée par toute la chrétienté de l’Occident. Il s’agissait du
royaume spirituel de l’Église; on pensait qu’un pape libre et indépendant
pouvait seul gouverner ce royaume. Ce ne fut pas à cette époque, mais beaucoup
plus tard, que le double caractère de chef de l’Église et de souverain temporel
devint funeste à la mission des papes, en les mêlant plus qu’il ne fallait aux
affaires séculières.
3. POLITIQUE DE PEPIN LE BREF.
La politique extérieure de Pépin
n’intéresse guère la Belgique: elle se révèle par des expéditions militaires
contre les Saxons, qui menaçaient constamment la Germanie, contre les Arabes,
auxquels il prit Narbonne et la Septimanie entière, et contre le dernier duc
des Aquitains, le turbulent Waifre, fils d’Hunold, qui fut tué sur le territoire de Périgueux. Pépin
réussit dans toutes ses entreprises, et parvint à consolider la domination des
Francs dans les divers Etats de la Gaule.
Mais il y a une série d’actes
de Pépin qui appellent notre attention particulière: nous voulons parler de
ses reformes de moeurs et de ses ordonnances disciplinaires.
Ces ordonnances, d’une haute sévérité à l’égard des prêtres et des moines,
prouvent que la corruption des moeurs régnait aussi
bien parmi les membres du clergé que chez les personnes des autres classes. On
trouve ces actes dans les capitulaires publiés depuis l’an 753 à l’occasion des
assemblées nationales dites placita, conventus, synodi. Leur
portée est plutôt religieuse et ecclésiastique que civile ou politique. Des
écrivains en renom, tels que Sismondi, Michelet et autres, ont beaucoup
critiqué la tendance de ces décrets. Suivant eux, Pépin aurait altéré, miné
l’ordre social en introduisant, comme dit Sismondi, les prélats dans les assemblées
du champ de mars et en donnant une prépondérance marquée au clergé. Il est de
fait que l’alliance de l’autel et du trône, c’est-à-dire du pape et du roi,
produisit un changement essentiel dans la constitution et l’ordre social du
royaume des Francs. L’élément chrétien, transformé en principe théocratique
vint prendre place dans la législation à côté de l’élément germanique. Mais
que fallait-il faire? Le principe théocratique était dominant dans cette
partie de la Gaule qui est devenue la France. On oublie trop souvent que
l’organisation du clergé était complète en France lorsque les Francs firent la
conquête de ce pays; elle y était à peu près telle qu’elle fut organisée en
Belgique sous Charlemagne et Louis le Débonnaire, ou même plus tard.
Toute la Gaule romaine était
divisée en provinces ecclésiastiques. A la tête de chaque province il y avait
un métropolitain ou archevêque qui convoquait le concile provincial et le
présidait; il était chargé de confirmer et de sacrer les évêques nouvellement élus
dans sa province; il recevait les accusations portées contre eux et les appels
de leurs décisions, mais il devait en déférer le jugement au concile
provincial. La province ecclésiastique était subdivisée eu diocèses, qui
avaient chacun leur évêque. Dans l’origine, les évêques étaient les
inspecteurs, les chefs de la congrégation religieuse : «L’Église chrétienne
est née dans les villes, dit M. Guizot, les évêques ont été ses premiers
magistrats. Quand le christianisme se répandit dans les campagnes, l’évêque
municipal se fit assister par des chorévêques ou évêques ambulants». Ceux-ci
furent bientôt insuffisants, et leur institution disparut pour faire place à
l’institution des paroisses. La réunion de toutes les paroisses agglomérées
autour d’une ville formait le diocèse. Plus tard, vers la fin du septième
siècle, l’organisation diocésaine se compléta par la création des archidiacres,
placés chacun à la tête d’un district formé de plusieurs paroisses. Le clergé
seul gouvernait la société; sa domination n’était atténuée que par quelques
restes de l’intervention du peuple dans l’élection des évêques. Au sein du
clergé, le système aristocratique l’emportait: c’était l’épiscopat qui
dominait. Cette domination était également atténuée, d’un côté, par
l’intervention de simples clercs dans l’élection des évêques, de l’autre, par
l’activité des conciles, dans lesquels cependant les évêques seuls siégeaient.
Tel était, au moment de
l’invasion, l’état de la société gauloise. Après la conquête, la domination exclusive
des ecclésiastiques sur les laïques s’est maintenue. Dans le péril commun, le
clergé se rapprocha du peuple; mais cet effet, dit M. Guizot, fut de courte
durée: «La domination du clergé avait été amenée principalement par l’extrême
infériorité du peuple, infériorité d’intelligence, d’énergie, d’influence.
Après l’invasion ce fait ne changea point, il s’aggrava plutôt. Les misères du temps
firent tomber plus bas encore la masse de la population gallo-romaine. De leur
côté les prêtres, quand une fois les vainqueurs se furent convertis, ne
sentirent plus le même besoin de se tenir étroitement unis aux vaincus: le
peuple perdit donc cette importance momentanée qu’il semblait avoir acquise.
Les écrivains français en
général n’aiment pas à reconnaître l’état de dégradation dans lequel était
tombé leur pays; c’est pourquoi nous citons volontiers M. Guizot, qui ose
montrer la vérité sans voile. Cette situation de la France explique et justifie
non seulement les actes de Pépin le Bref, mais encore toute la politique de
Charlemagne. Le seul moyen rationnel et pratique de maintenir la société était
de faire une place à l’aristocratie épiscopale des Gaulois à côté de
l’aristocratie guerrière des Francs. Les évêques furent admis dans les
assemblées nationales et dans les conseils des rois, non parce qu’ils étaient
évêques, mais parce qu’ils représentaient la nation gauloise. Il se fit une
sorte de fusion entre l’élément gallo-romain et l’élément germanique, sans
cependant que le principe théocratique devînt dominant, même sous Charlemagne.
Le droit canonique se fixa dans le royaume des Francs, mais le droit national
germanique n’en fut point absorbé; ce dernier resta toujours en vigueur. Il y
avait, comme dans les temps les plus reculés, des hommes libres et des hommes
non libres, tant serfs que lètes et affranchis. L’homme libre avait le droit de
guerre privée et de vindicte, le mundium sur sa femme, ses enfants et les
autres personnes placées sous sa garde; lui seul pouvait avoir la vraie
propriété, c’est-à-dire la seigneurie sur ses terres et sur les personnes qui
les cultivaient; lui seul était membre du placitum cantonal et assistait, comme rachimburgus, au
jugement des litiges entre hommes libres; lui seul était admis à siéger dans
l’assemblée du champ de mars. L’organisation judiciaire et la procédure
germanique avec les ordalies subsistait partout; les lois salique et ripuaire,
chez les Francs, la loi burgonde, chez les Bourguignons, n’avaient pas cessé
d’être en vigueur; on se rachetait toujours par le payement du wergeld, tarifé
dans les lois de la vindicte privée.
Les préceptes de l’Église
acquirent force de loi relativement aux mariages, aux divorces et à certains
crimes, tels que l’inceste, l’adultère et autres semblables. Le mariage
germanique, par l’achat du mundium sur la future épouse, fit place au mariage
religieux. Mais Sismondi exagère lorsqu'il dit que le droit germanique
disparut sous la prépondérance absolue du droit canon. Le plus grand changement
fut celui qui s’opéra dans le droit public. Les rois, sacrés par les saintes
huiles, commencèrent à se dire rois par la grâce de Dieu. Ce n’est plus
l’ancienne royauté guerrière des Germains, c’est celle de l’Ancien Testament,
tout orientale et autocratique. Cependant elle ne pèse pas encore de tout son
poids sur le gouvernement du pays: car nous voyons que pour toutes les affaires
d’une certaine importance la nation est consultée dans les assemblées de mars
ou de mai. Le pouvoir protecteur de la mainbournie continue d’être le caractère
distinctif de la royauté. Sismondi se trompe si, à cause des dispositions ecclésiastiques
des capitulaires de Pépin, il croit que les prélats dominaient sur les
assemblées. Le placitum se divisait en
plusieurs sections, et les ordonnances ecclésiastiques des capitulaires ne
furent délibérées et arrêtées que dans la section qui était composée d’évêques
et d’abbés exclusivement. Si l’élément théocratique avait triomphé complètement
dans la législation et qu’il eût écrasé le droit national, l’empire des
Francs ne serait pas devenu ce qu’il fut au temps de Charlemagne; il aurait
pris la marche du Bas-Empire, marche que nous le verrons prendre réellement
sous Louis le Débonnaire, au grand préjudice de sa prospérité et au prix de son
existence.
Il est une institution qui
prit un grand développement sous les Carolingiens et qui exerça une incontestable
influence sur la transformation de l’ordre social: c’est celle des bénéfices.
Qu’on nous permette de placer ici un résumé de la théorie de M. Waitz sur ce sujet si intéressant pour l’histoire de l’époque.
Les mots beneficium, beneficiorum jus signifient la concession
d’une jouissance usufruitière, telle que fief, précarie, censive ou bénéfice ecclésiastique; mais les différences, nettement
tranchées plus tard, entre ces diverses concessions, ne se montrent pas clairement
dans les lois et documents de l’époque carolingienne. Les évêchés et les abbayes
donnaient en bénéfice des portions de leurs territoires à des serfs, des lètes
ou autres personnes demi-libres, ainsi qu’à des
hommes libres, soit sous la condition de prestation de services ou de payement
d’un cens, soit, quant aux hommes libres, à charge d’une légère contribution
servant à constater la propriété du donateur. On appelait indifféremment cette
dernière espèce de concession précarie ou bénéfice.
Les concessions faites à des hommes non libres reçurent bientôt le nom de censive.
Charles Martel et Pépin
avaient obligé les églises épiscopales et les abbayes à donner ainsi des
territoires en usufruit à leurs hommes de guerre, moyennant que ceux-ci
payassent certaines redevances. Charlemagne et Louis le Débonnaire firent la
même chose, et cet exemple fut suivi par leurs successeurs. Souvent les
bénéficiers reçurent l’ordre de restituer aux églises les biens ainsi usurpés;
mais ces ordres demeurèrent presque toujours sans effet. Dans les actes
relatifs à ces concessions, on obligeait ordinairement les évêques ou les abbés
à déclarer qu’ils avaient constitué le bénéfice; quelquefois les rois le conféraient
eux-mêmes, avec l’assentiment de l’évêque ou de l’abbé, ou même sans cet
assentiment. Les bénéfices de cette dernière espèce étaient réputés royaux.
Charlemagne imposa aux bénéficiers la double dîme (decimae et nonae) et la charge de contribuer à l’entretien
des édifices ecclésiastiques. Les services et les prestations des bénéficiers
ecclésiastiques proprement dits variaient infiniment. On distinguait les servitia honesta des autres services plus ou moins vils. Tout homme pouvait recevoir des
bénéfices à charge de cens: ainsi les comtes, les évêques, les abbés, les
membres de la famille royale. Un diplôme cité par M. Waitz prouve que le roi lui-même avait reçu d’une abbaye un bénéfice sous cette
condition. Les comtes et autres fonctionnaires publics, ou de simples hommes
libres, lorsqu’ils étaient assez riches, constituaient ainsi des bénéfices,
même sur des possessions qu’ils ne tenaient eux-mêmes qu’à titre bénéficiaire.
Les bénéfices qu’avaient
donnés les maires du palais, de leurs propres biens, étaient des aliénations
viagères de propriété, c’est-à-dire valables pendant la vie des gratifiés;
mais sous Pépin et Charlemagne, ces concessions n’ont plus d’autre effet que de
conférer l’usufruit; les rois défendent sévèrement de transformer cet usufruit
en pleine propriété. Elles se font sous la simple condition de fidélité; il n’y
a point de trace de l’obligation de payer un cens. La terre concédée conservait
néanmoins le caractère de bien fiscal; le bénéficier était astreint au service
militaire, qui était considéré comme une charge inhérente à la terre
bénéficiaire. Le refus de remplir cette obligation entraînait la perte du
bénéfice. Le domaine concédé ne pouvait pas être aliéné sans la permission du
roi; on ne pouvait pas non plus le détériorer, ni le laisser se détériorer à
défaut de soins.
Ce système prit bientôt une
telle extension que ce ne furent pas seulement des possessions territoriales
qui furent données en bénéfices, mais beaucoup d’autres objets encore, par
exemple, des revenus de terres, des chasses, des pêcheries, des tonlieux, et
plus tard des comtés. Les concessions de comtés furent appelées bénéfices
d'honneurs, c’est-à-dire de dignités , de charges publiques. Des hommes de
toutes les classes, depuis le serf jusqu’au duc, obtinrent ainsi des bénéfices
royaux. Ces concessions étaient, à peu d’exceptions près, viagères. Les
bénéfices par formes de reprises, appelés plus tard feuda oblata, étaient perpétuels.
On considérait comme
constituant un pacte, un contrat, les rapports entre le donateur et le concessionnaire
d’un bénéfice. L’inobservation de la convention était un manquement à la foi
donnée, et autorisait le retrait du bénéfice. Ces rapports prirent le
caractère d’un lien sacré par la commendatio ou vassalité, qui,
bien que tout à fait distincte de la concession bénéficiaire, l’accompagnait
ordinairement. M. Waitz paraît assez enclin à adopter
l’opinion émise en France par M. de Courson, que le lien de cominendation était d’origine celtique. Il se formait par l’admission du commendé dans le mundium d’un homme plus puissant. Si c’était le roi auquel on se commendait, ce mundium était tout à fait
spécial, c’est-à-dire qu’on le distinguait du mundium général, qui
s’étendait sur les églises, les veuves, les orphelins, etc. Le commendé prenait le nom de vassus,
mot celtique qui signifie serviteur, comme le gasindus germanique, qui a la même signification. Celui qui recevait un vassus était appelé dominus ou senior; il était donc le seigneur, et l’autre le vassal. Le lien de
vassalité s’établissait par un acte symbolique, per manus missam, c’est-à-dire par une poignée de main
suivie d’un serment de fidélité.
La vassalité n’a pas, pendant
la période carolingienne, un caractère bien déterminé; elle n’est qu’une
garantie d’attachement mutuel entre le seigneur et le vassal. Elle n’oblige pas
au service militaire comme le bénéfice. Suivant M. Waitz,
elle n’a rien de commun avec l’ancien compagnonnage de la bande germanique;
elle n’est pas non plus ce qu’était, sous les Mérovingiens, l’ordre des
antrustions: car le vassal n’est pas obligé de se trouver toujours auprès du
roi ou dans sa truste; il n’est tenu qu’à être fidèle au seigneur. Ce n’est pas
seulement le roi qui peut avoir des vassaux, mais aussi tout autre homme libre.
Les vassaux remplissent quelquefois des fonctions dans la maison de leur
seigneur, par exemple, celle d’y maintenir l’ordre et la tranquillité, de
garder sa femme et sa maison en son absence, de s’occuper du soin des récoltes,
etc. D’autres, qui ont reçu des terres de leurs seigneurs, commandent à leurs
propres vassaux, et exigent d’eux les mêmes services. Les vassaux des comtes
et des évêques ont souvent des emplois publics à remplir; ceux des rois sont
chargés des fonctions ou ministères les plus différents, au palais, à l’armée,
etc. Le nombre des vassaux royaux semble avoir été très-grand, par suite sans
doute de la coutume suivie par les bénéficiers de prêter, à la réception de
leur bénéfice, le serment de vassalité. Finalement tout bénéficier devint
vassal, mais tout vassal ne fut pas bénéficier. Cela explique comment le
bénéficier reçut le nom de vassal, et comment la vassalité se confondit avec le
système des bénéfices.
Le lien de la vassalité,
comme celui du bénéfice, était contractuel et essentiellement dissoluble. Lorsqu’il
était né d’une concession de bénéfice, il se rompait avec la perte de celui-ci.
Des ordonnances royales déterminèrent, sous Charles le Chauve, les cas dans
lesquels le seigneur pouvait priver le vassal de son bénéfice. L’obligation de
secours était mutuelle entre le seigneur et le vassal. Ce dernier était soumis
à certaines obligations de service, mais son devoir principal était toujours la
fidélité. Le service militaire n’était dû que lorsqu’il était formellement
stipulé; le vassal comme tel n’y était pas astreint.
Tout homme libre pouvait se
faire vassal, soit du roi, soit d’un comte, d’un évêque, d’une abbaye ou d’un
autre homme libre, celui-ci fût-il vassal lui-même;
mais il n’y avait obligation pour personne de choisir un seigneur. Cette
obligation n’existait pas, même au temps de Charles le Chauve, comme on l’a
cru, à cause, du capitulaire de Meersen. Ce
capitulaire ne fait que confirmer un état de choses antérieur, établi par Pépin
et Charlemagne pour mettre sous leur dépendance des seigneurs puissants, tels
que Tassilon de Bavière, Waifre d’Aquitaine, etc. Ces
seigneurs prêtaient serment entre les mains du roi qui, par suite de cette sujétion
spéciale, acquérait le droit de les priver de leur dignité et de leur pouvoir
en cas d’infidélité constatée. M. Waitz, à qui nous
devons cette interprétation, l’a appuyée d’un grand nombre de preuves.
Cependant la vassalité
n’était pas la base du gouvernement carolingien; l’empire n’était pas un État
féodal. Le développement de la vassalité ne fut encouragé que pour fortifier
le lien qui devait unir les seigneurs au chef de l’État. Le roi était en même
temps souverain et seigneur; il avait deux titres au commandement.
En résumé, il résulte des
recherches de M. Waitz que, sous Charlemagne, son
fils et ses petits-fils, le système des bénéfices ne changea point de nature,
quoiqu’il se fût multiplié à l’infini. La vassalité ou, ce qui est la même
chose, la commendatio n’établissait qu’un rapport de personne à
personne, en obligeant le vassal à une fidélité plus intime que par le serment
général de soumission auquel tous les hommes libres étaient tenus. Le vassal,
comme tel, n’était obligé à aucune espèce de prestation, ni au service
militaire; le lien qui l’attachait au seigneur était celui de la clientèle et
du patronage; on le considérait comme sacré. L’usage de combiner la vassalité
avec la concession bénéficiaire, notamment lorsque celle-ci impliquait
l’obligation de porter les armes, devint de plus en plus général, et prépara la
féodalité proprement dite, d’abord dans le royaume occidental, et plus tard
dans la Germanie.
Pépin surnommé le Bref mourut
à Saint-Denis le 24 septembre 768. Peu de temps avant sa mort, il avait partagé
la monarchie entre ses deux fils, Charles et Carloman; mais il ne voulut point
la diviser, comme avaient fait les rois mérovingiens et après eux Charles
Martel, en Austrasie et Neustrie. Au lieu de tracer la ligne de séparation du
Nord au Sud, il la tira de l’Est à l’Ouest, de sorte que chacun des deux rois
eût sa part de la Neustrie et de l’Austrasie. La Bourgogne, la Provence, la Gothie, l’Alsace et l’Allemagne échurent à Carloman;
Charles eut la plus grande partie de l’Austrasie avec une fraction de la Neustrie.
L’Aquitaine fut partagée entre les deux frères. Après les funérailles de Pépin,
qui eurent lieu à Saint-Denis, chacun des deux rois s’en alla avec ses leudes
prendre possession de son royaume. Carloman était âgé de dix-sept à dix-huit
ans; Charles en avait plus de vingt-six; il avait participé aux travaux et aux
exploits de son père dans la guerre d’Aquitaine. Tous deux furent élevés au
trône le même jour, par le consentement des grands et la consécration des
évêques, l’aîné ù Noyon, le plus jeune à Soissons. L’Oise, qui passe entre ces
deux villes, formait la limite de leurs États.
Chapitre IV. Charlemagne |